Je vis totalement en apnée depuis dix jours. C'est vraiment la sensation que ça donne. Impossible de prendre du recul, impossible de vivre pleinement le quotidien, impossible de me détacher de l'angoisse du retour de la maladie. Je fais tout machinalement, comme si je flottais dans une bulle, et la peur ne me quitte pas, jour et nuit.
Quand je le regarde, je me demande constamment s'il n'est pas plus fatigué que d'habitude, si ce bleu est normal ou si c'est un signe d'alerte, s'il ne boiterait pas légèrement... On nous a dit de surveiller d'éventuels signes, alors je veille au grain, je demande l'air de rien s'il n'a pas de douleurs, s'il se sent bien... Mais comme me le dit si justement Julien, à force de demander, je finirai forcément par obtenir une réponse positive, alors je me raisonne et je limite mes questions, en me disant que si c'était le cas il nous en ferait part. Seulement Lucas n'est pas du genre à se plaindre facilement, alors le jour où il se plaindra d'une douleur, ça fera un moment qu'il avait mal...
J'essaie aussi de masquer mon angoisse et de cacher cette peur aux enfants, parce que ça ne sert à rien de les inquiéter avec des incertitudes, mais je sais bien qu'ils le sentent malgré tout et que mon sourire de façade ne les trompe pas. On a essayé de préserver Lucas, sans lui cacher la vérité pour autant. Il sait que les examens n'ont pas donné de résultats suffisants et qu'il faudra les refaire en janvier, mais il n'a pas conscience (du moins je ne crois pas) que si on les refait c'est qu'on a un sérieux doute. Lui ce qu'il a surtout retenu, c'est que c'était après Noël, donc loin... Malgré tout ils sentent bien que tout n'est pas tout à fait normal à la maison, on voit qu'ils demandent plus de câlins, plus d'attention. Comme s'ils disaient avec leurs gestes "je suis là pour te réconforter, ça va aller"...
Malgré tous mes efforts j'agis au quotidien le ventre noué, me disant que si ça se trouve c'est la dernière fois qu'on fait telle ou telle chose tranquillement. C'est tout bête, je sais, mais c'est plus fort que moi... Je le vois manger son bol de céréales au petit déjeuner et je repense aux longs mois où il n'avalait plus rien. Je ressors un reste du frigo et je repense aux règles si strictes d'aplasie qui interdisaient formellement de manger quelque chose qui ne venait pas d'être ouvert. Je fais le ménage et je repense là aussi aux règles hyper-strictes qu'on devait suivre à la lettre. Je l'emmène à l'école et je repense à ces longs mois d'éviction scolaire, à tous ces efforts pour rattraper le temps perdu et au manque des copains qu'il a tant ressenti. Je les vois si complices avec sa sœur, et je repense à ces semaines entières où ils étaient séparés ou qu'il était simplement trop fatigué pour jouer. Je le vois s'éclater à faire de la trottinette ou aller à la piscine, et je me dis que tout ça c'était interdit avec le KT... Je mesure la chance qu'on a de vivre à nouveau comme une famille, et j'ai tellement peur que ça recommence !
La vie est fragile, on l'a bien vu avec les derniers évènements, mais quand ça touche sa propre famille, ses propres enfants, ça prend un sens bien différent. J'ai PEUR. Tout simplement. Je ne vis plus et je compte les jours...
Et pourtant, je me sens coupable d'être aussi affectée par ce qui n'est, pour l'instant, qu'un "risque potentiel". Alors que d'autres enfants sont, eux, vraiment en rechute, je devrais profiter de la vie tant qu'on peut encore la vivre normalement, et m'estimer heureuse d'avoir encore cet espoir que ça ne soit rien de grave. Mais ce "risque potentiel" implique tellement de choses... Il ne s'agit pas d'un simple rhume, si les prochains examens montrent qu'il s'agit bien d'une rechute c'est toute sa vie qui basculera (la nôtre aussi) et les solutions thérapeutiques seront limitées. Pour être vraiment claire, l'issue plus que probable c'est qu'il ne s'en sorte pas... J'aimerais pouvoir faire la part des choses et mettre cette idée de côté, mais je n'y arrive pas. Plus que jamais je crois, j'ai peur de perdre mon enfant.