La psychologue est passée voir Lucas ce matin. Beaucoup de choses sont ressorties au cours de cet entretien. Des choses qui ne sont pas nouvelles, mais les entendre de la bouche de Lucas c'est différent, et ça m'a fait mal, parce que je pensais que son jeune âge le protégeait de certaines réalités, or il en est tout autre. Je me suis rendue compte qu'il avait énormément muri avec la maladie, qu'il comprenait beaucoup de choses même s'il ne les verbalisait pas, et qu'il en souffrait beaucoup plus moralement que ce que j'imaginais. Je me suis pris une belle claque…
Selon les propres mots de l'équipe soignante, "Lucas est en souffrance morale". Voilà, le mot est lâché. En langage clair, ça veut dire que Lucas déprime. Il y a bien eu déjà des moments de tristesse et de découragement, mais là tout s'accumule et ça fait trop d'un coup pour mon petit bonhomme. Le cancer n'atteint pas uniquement le corps, il fait aussi des ravages au niveau psychique, et ces ravages-là sont bien pires parce qu'on ne les voit pas s'installer. Là non plus rien de nouveau me direz-vous, mais entre le savoir, et le constater sur son fils, il y a une sacrée différence !
Lucas a parlé de beaucoup de choses pendant l'entretien. Du ras-le-bol de l'hôpital, de la maladie, des soins, des médicaments et du reste. De l'opération. De la sonde gastrique qu'on a dû reposer hier. De l'éloignement de Jade et de Papa. De sa maison, de ses jouets, de sa chambre. Des copains et de l'école qui lui manquent aussi beaucoup. De ses cheveux, alors que je pensais naïvement que ça ne lui posait aucun problème... De la mort aussi, et là croyez-moi ça a été plus que dur, parce qu'entendre son petit garçon de 5 ans dire que "peut-être je vais mourir, et alors je ne respirerai plus et je ne pourrai plus jouer ni être avec maman et papa", c'est vraiment atroce…
Et puis surtout, il a parlé des vacances prévues et de cette promesse qu'on ne tiendra pas. Voilà, on y est… Quand on y réfléchit, ça colle parfaitement. Lucas s'est fermé à partir du moment où Julien lui a expliqué qu'on allait devoir rester à l'hôpital pour soigner les vilains microbes qui étaient rentrés dans son corps, et qu'on ne pourrait pas partir en vacances… Alors bien sûr ce n'est pas le seul élément à prendre en compte, c'est juste la goutte d'eau qui a fait déborder le vase, mais c'est ça qui semble le gêner le plus, et générer ce sentiment de colère et d'injustice qu'il a du mal à exprimer.
Comment a-t-on pu passer à côté de ça, sans même s'en rendre compte ? Parce que, oui, il y a eu l'intervention juste après, oui, il a été fiévreux et pas bien, oui… Mais ça me semble tellement évident maintenant ! Pourquoi n'y a-t-on pas pensé ? Pourquoi n'en a-t-il pas parlé depuis ? Je comprends mieux maintenant pourquoi il est si méfiant envers tout le monde. Comment pourrait-il encore nous croire, alors que nous ne tenons pas cette promesse qui était si importante à ses yeux ? J'en suis malade rien que d'y penser…
J'ai contacté le médecin référent de Lucas, et je lui ai demandé si on ne pouvait pas se débrouiller pour décaler un peu le protocole et partir quelques jours malgré tout. Même 48h, peu importe. Lucas a besoin de quitter cet environnement avant de repartir pour une nouvelle longue hospitalisation. Ca ne résoudra probablement pas tout, le mal être de Lucas est plus profond qu'une simple affaire de vacances, mais c'était tellement important pour lui. C'est vrai que les hospitalisations s'enchainent, on lui dit que les étapes sont franchies les unes après les autres et pourtant il ne voit aucun changement, il y a toujours autant de soins... Alors sortir un peu de l'hôpital, quitter la monotonie de ces derniers mois et fuir la maladie, même pendant quelques jours, c'est vital. Il a tellement besoin d'air frais et de liberté avant de se retrouver enfermé pendant des semaines dans sa chambre stérile ! En même temps on a déjà décalé le protocole à cause de l'infection, alors j'ai peur que ça laisse le temps à la maladie de reprendre le dessus… Bref, on verra ce qu'en pensera le médecin, je ne l'ai pas eu directement, je lui ai laissé le message et j'ai rendez-vous demain avec lui pour en parler, j'espère qu'il donnera son autorisation. Je ferais tout pour que mon petit bonhomme retrouve la joie de vivre qu'il avait réussi à conserver jusque là. C'est si dur de le voir comme ça…