C'est compliqué d'expliquer à un petit garçon de 5 ans que les traitements qu'on lui inflige sont pour son bien alors que ce qu'il voit, lui, c'est qu'ils le rendent encore plus malade. Quand il est à la maison, il est en pleine forme, et à peine arrivé à l'hôpital, il commence à aller mal...
Au début, on pouvait lui dire que la maladie était là, accrochée à son rein, et que les chimios allaient la faire fondre, comme de la glace au soleil. Le médecin lui avait montré les clichés et il lui avait fait un dessin afin qu'il comprenne bien. Il avait accepté, malgré les effets secondaires et même si la maladie restait pour lui assez abstraite parce qu'il n'avait pas vraiment de symptômes (excepté au tout début)...
Puis il y a eu la chirurgie. Il fallait enlever la boule. Là c'était facile à imaginer. Oui, mais... Comment comprendre, à son âge, qu'en sortant du bloc il allait plus mal qu'avant ? Comment lui expliquer que tous ses organes avaient été malmenés et qu'il faudrait du temps pour que tout se remette en place ? On avait essayé de le préparer mais il pensait (de façon très logique) qu'une fois la méchante boule retirée tout irait mieux !
Il pensait peut être qu'ensuite ce serait fini... Mais nous avons enchainé avec la chimio haute dose et l'auto-greffe. "On va nettoyer ton corps pour en retirer la mauvaise moëlle et réinjecter de la nouvelle toute propre." Là encore, ça semblait simple, et pourtant... Il a passé des semaines d'horreur, sans pouvoir avaler sa salive tellement il avait la bouche pleine d'aphtes, il a fini en réa, ils ont bien cru le perdre à plusieurs reprises... Comment lui expliquer ? On pouvait simplement lui dire que quand ses globules blancs remonteraient, enfin, ça irait mieux !
Puis, à l'issue de tout ça, fin avril, après huit mois de combat acharné, les résultats des examens sont arrivés. Plus de traces de la maladie. Enfin, ça y est, elle est partie ! On a fait la fête, on était contents, tellement contents...
Mais, alors qu'il croyait en avoir vraiment fini pour de bon, on a attaqué la radiothérapie. Une nouvelle étape, pleine d'angoisse pour lui parce qu'il ne connaissait pas. "On va envoyer des rayons lasers pour nettoyer le trou laissé à la place de ton rein, là où était la méchante boule". Pour faire disparaitre les dernières poussières de maladie. Mais quelles poussières ??? On venait de lui dire que la maladie était partie ? Comment lui faire comprendre que, oui, on ne voit plus rien, mais que non, ça ne veut pas dire que la maladie ne reviendra plus, et qu'il faut quand même continuer à le soigner "au cas où"...
Si ça n'avait été que la radiothérapie encore... Mais il y a eu ensuite les cachets à prendre par la bouche. On commençait à peine à retrouver nos marques chez nous, et il a fallu intégrer ça à son quotidien, et lui expliquer qu'il fallait impérativement les prendre. Pour soigner la maladie, encore...
Et dernièrement, l'immunothérapie. Retour à l'hôpital. Retour dans l'univers de la maladie. Et inévitablement, effets secondaires... A nouveau, comment lui faire comprendre qu'il va devoir repasser par des moments très durs, où rien n'ira, alors qu'il y a à peine quelques jours il courait dans le jardin en pleine forme ? "C'est pour ton bien chéri"... Tu parles !
J'ai constamment l'impression de lui mentir. A chaque épreuve qu'il surmonte, en voilà une nouvelle qui se présente. Est-ce qu'on aurait mieux fait de lui dire dès le départ tout ce qui l'attendait ? Je n'en suis pas sure. Mais a-t-on fait le bon choix en cloisonnant les étapes et en ne les lui annonçant qu'au dernier moment (ou presque) ? A-t-on été honnêtes ? Etait-ce vraiment pour le protéger ? Ou pour nous protéger, nous, pour éviter d'affronter son regard d'enfant sur la réalité qu'on fuyait ?
Pour répondre à la question de comment Lucas vit tout ça, eh bien je dirais "pas très bien, mais pas trop mal". C'est dur pour lui parce qu'il a l'impression que ça n'en finit jamais (et ce n'est d'ailleurs pas tellement faux...). On sent beaucoup de colère en lui, qu'il exprime de façon plus ou moins explicite, et il nous fait bien comprendre qu'il n'est pas d'accord avec tout ce qui lui arrive, ces derniers temps davantage qu'avant je trouve. Mais ça ne dure jamais bien longtemps et il finit toujours par s'adapter, trouver les ressources nécessaires pour faire face et même apprécier certains moments malgré tout.
Pour ne citer qu'un exemple, il n'a pas dit un mot pendant tout le trajet en voiture hier soir quand nous avons pris la route de l'hôpital et il a trainé les pieds entre le parking et l'entrée, mais une fois dans l'ascenseur, il s'est fait une joie d'appuyer lui-même sur le bouton de l'étage (notre rituel), et en arrivant dans le service il me précédait dans le couloir.
Plusieurs fois dans la journée, il dit "non", refuse de participer aux soins ou de faire ce qu'on lui dit. Et puis dix minutes plus tard il rigole avec l'infirmière. Sans rancune...
Et puis il y a toujours ces questions... Juste un exemple, pas plus tard que ce soir... "Maman est-ce que quand je ne serai plus malade je serai mort ?"
Voilà...